Signe du caractère sensible du sujet, le gouvernement rwandais a réagi avant même la publication, mardi 10 octobre, du rapport de Human Rights Watch (HRW) sur la répression que mène Kigali en dehors de son territoire. L’organisation non gouvernementale (ONG) « continue à dépeindre une image fausse du Rwanda, qui n’existe que dans son imagination », a réagi Yolande Makolo, la porte-parole du gouvernement rwandais lundi. Kigali et l’ONG entretiennent depuis des décennies une relation tendue, l’organisation dénonçant régulièrement des violations des droits humains dans le pays, notamment des détentions arbitraires et des assassinats extrajudiciaires.
Cette fois-ci, c’est une enquête intitulée « “Rejoins-nous ou tu mourras”, la répression extraterritoriale exercée par le Rwanda » qui agace Kigali. L’organisation de défense des droits de l’homme se penche sur la façon dont le régime de Paul Kagamé, au pouvoir de facto depuis la fin du génocide des Tutsi en 1994 et qui a annoncé qu’il briguerait un quatrième mandat en 2024, tente de faire taire toute opposition politique.
HRW a rassemblé quelque 150 témoignages de Rwandais vivant à l’intérieur ou à l’extérieur du Rwanda et a recensé quatorze meurtres ou de tentatives d’assassinat, d’enlèvements, de disparitions forcées et d’agressions physiques extraterritoriaux depuis 2017. Ces abus qui ont lieu, affirment les auteurs, « à une fréquence inquiétante, en particulier dans les pays africains ou dans ceux où le gouvernement rwandais a une présence active » au travers de ses ambassades, d’associations de la diaspora et de partenariats économiques.
En plus des violences physiques, le rapport liste le gel des avoirs financiers, le harcèlement judiciaire de dissidents, les menaces en ligne, les campagnes de désinformation, le piratage des outils de communication privée.
« Logique implacable »
Avec une « logique implacable », détaille HRW, et une stratégie d’encerclement, les autorités rwandaises s’attaquent également aux familles et aux proches des personnes dissidentes. Là aussi, le harcèlement judiciaire mais aussi la détention arbitraire, des actes de torture et des mauvais traitements, la restriction de circulation et la saisie de propriétés, l’étranglement des ressources et des perspectives professionnelles sont monnaie courante. « Si vous publiez mon nom, ils le tueront », n’hésite pas à prévenir un militant rwandais après avoir fait le récit auprès des enquêteurs de l’ONG de la torture durant des mois de l’un de ses proches par des nervis du régime dans une maison privée transformée en lieu de détention non officiel. Ce ciblage systématique de proches, une « forme de contrôle particulièrement vicieuse », est « peu visible » à l’étranger, analyse le rapport, et installe un climat de peur aboutissant à s’autocensurer et à saper l’émergence de toute nouvelle dissidence.
La plupart de ces situations soit ne bénéficient d’aucune enquête nationale ou internationale pour déterminer les responsabilités, soit voient les procédures s’enliser ou s’éteindre, déplore Human Rights Watch, qui accuse d’ailleurs les Nations unies et plus généralement la communauté internationale d’avoir « détourné le regard » sur la gravité et les conséquences d’une telle répression, notamment parce que le Rwanda est l’un des principaux pourvoyeurs de casques bleus (6 500) dans cinq opérations de maintien de la paix de l’ONU en Afrique (Centrafrique, Mali, RDC, Soudan et Soudan du Sud).
« Ce que nous dénonçons a du sens »
Par ailleurs, Kigali a également étendu son influence en plaçant ses fidèles à la tête d’institutions de premier plan – notamment son ex-ministre de l’information puis des affaires étrangères, Louise Mushikiwabo, élue en 2018 secrétaire générale de l’Organisation internationale de la francophonie – et en nouant des partenariats avec des pays occidentaux, à l’instar de l’accord controversé avec le Royaume-Uni qui prévoit d’envoyer les migrants entrés illégalement sur son territoire au Rwanda pour étudier leur demande d’asile et sur lequel la Cour suprême britannique doit se prononcer.
L’opposante Victoire Ingabire, présidente des Forces démocratiques unifiées, s’est réjouie de la publication de cette enquête. « Nous la soutenons car elle montre que ce que nous dénonçons a du sens. A l’extérieur du pays, le régime de Kagame a choisi d’utiliser la violence contre les opposants et ceux qui ne partagent pas la vision du régime. C’est une manière de montrer leur force et qu’ils peuvent atteindre n’importe qui, n’importe où », a-t-elle réagi.
Les médias proches des autorités rwandaises l’ont quant à eux vivement critiquée, à l’image du média rwandais The New Times. Selon une source anonyme « haut placée » citée par le journal dimanche, l’exposé serait le résultat d’un « procédé motivé politiquement, qui implique des discussions avec des individus discrédités ou des fugitifs de la justice, et la préparation des sources sur ce qu’elles doivent dire ».