« J’ai le sentiment du devoir accompli » : il est environ 9 heures à Bangui (République centrafricaine), lorsque entouré par des dizaines d’hommes en armes de la garde présidentielle, du contingent rwandais de la Minusca (la mission des nations unies en Centrafrique), et des paramilitaires de Wagner, le président centrafricain Faustin Archange Touadéra a glissé son bulletin dans l’urne du bureau de vote n° 1 au lycée Barthélémy Boganda. Il montre l’exemple. Alors que l’un des enjeux principaux du scrutin, dimanche 30 juillet, est le taux de participation, le chef de l’Etat espère que la population se déplacera en nombre pour adopter sa Constitution.
Tandis qu’un avion de chasse livré par la Russie vole à faible altitude au-dessus de la capitale centrafricaine, le chef de l’Etat se dit confiant : « le peuple votera la nouvelle loi fondamentale » qui devrait lui permettre de briguer autant de mandats qu’il le souhaite. « Le pays est calme depuis qu’il est là, note Elsa Sawa, étudiante en gestion de 29 ans, donc je veux bien qu’il reste aussi longtemps que Paul Biya au Cameroun [au pouvoir depuis 1982]. » La stabilité pour le développement, c’est l’argument principal des partisans du « oui » à la nouvelle Constitution, qui pour beaucoup peinent à commenter dans le détail le contenu du texte.
Dans les bureaux de vote, les bulletins blancs du « oui » et ceux rouge vif du « non » attendaient sagement les électeurs. Ces derniers se sont fait désirer toute la journée, même dans des quartiers réputés fiefs du parti au pouvoir. D’habitude bouillonnant d’activité au point qu’il est difficile de circuler dans ses ruelles, le marché, désertique, du PK5, le quartier musulman de Bangui, considéré comme le poumon économique du pays, était méconnaissable. Toutes les boutiques étaient fermées et les habitants déclinaient poliment les interviews.
« Les termes “est centrafricain d’origine celui dont les parents sont également centrafricains d’origine” contenus dans la nouvelle loi fondamentale ont fait craindre aux musulmans d’être à nouveau exclus ou considérés comme des étrangers », explique Ismaïl Lawane, chef de quartier Yaloma, au PK5. « Cette disposition a été finalement retirée mais le doute et la méfiance subsistent chez certains de nos concitoyens » , poursuit-il. La participation est pourtant la seule véritable inconnue ; elle déterminera la légitimité de la nouvelle loi fondamentale. Depuis leurs téléphones, les cadres de l’opposition ont inondé les réseaux sociaux d’images montrant des bureaux de vote déserts, des clichés impossibles à authentifier.
Etat d’alerte
L’opposition a choisi de boycotter le scrutin, jugeant qu’il n’était qu’un prétexte pour offrir « une présidence à vie » au chef de l’Etat élu pour la première fois en 2016 et réélu en 2020. « La Constitution dit : deux mandats. Changer comme ça n’est pas bien. Dans quel pays on vit ? » s’interroge Marie en finissant son plat de manioc sauce arachide. Elle n’est pas allée voter et nous demande de taire son nom de famille. A Lakouanga, son quartier de Bangui presque personne n’ose s’affirmer abstentionniste, même ceux qui n’ont pas de trace d’encre sur les doigts. « Les gens ont peur » croit savoir Eloge, militant du parti d’opposition Union pour le renouveau centrafricain, avant d’être interrompu par le vrombissement d’un hélicoptère de l’armée. « On vote sous la pression », poursuit-il.
Toute la journée, le dispositif sécuritaire était renforcé. Des policiers et militaires étaient déployés dans chaque bureau de vote. Des dizaines de pick-up de la garde présidentielle traversaient à vive allure les avenues désertes de la capitale. Sur l’un des véhicules flottait un drapeau écarlate marqué d’un Z, emblème de la Russie. La société paramilitaire Wagner, installée dans le pays depuis 2018, était impliqué dans l’organisation du scrutin mais durant le vote leur présence s’est faite discrète dans la capitale. En début de soirée Alexandre Ivanov, qui parle au nom des mercenaires à Bangui, s’est félicité de la bonne tenue du scrutin et d’une « participation très élevée ».
Les résultats provisoires du référendum doivent être publiés sous huit jours, et la Cour constitutionnelle proclamera les résultats définitifs le 27 août. A Bangui, personne ne doute que le « oui » l’emportera largement.