Dans l’Ouest américain, des motardes contre les violences faites aux femmes indigènes

La road captain ouvre la route, frêle silhouette aux commandes d’une Harley-Davidson de 300 kilogrammes. Derrière elle, une vingtaine de bikeuses, en blousons de cuir bardés de rouge, sur des monstres du même calibre. Comme chaque année, les motardes du groupe Medicine Wheel Ride traversent l’Ouest américain à la mémoire des MMIW ou Missing and Murdered Indigenous Women, les femmes autochtones qui ont disparu sans laisser de traces et dont le monde blanc se soucie rarement. Féminicides ? Trafic d’êtres humains ? Les enquêtes, quand elles existent, n’aboutissent guère. « Pas de corps, pas de crime », résume la captain Shelly Denny au nom de celles qui réclament justice.

En ce dernier jour de juillet, les motardes arrivent à l’étape de Riverton, dans le Wyoming, sur le territoire de la réserve indienne de Wind River, la « rivière du vent ». Nous sommes dans le nord des Rocheuses, encore sur les hauts plateaux, mais le paysage s’élève progressivement en direction du parc national de Grand Teton, qui culmine à plus de 4 000 mètres. La réserve de Wind River est l’une des plus étendues des Etats-Unis (8 996 kilomètres carrés). Elle abrite deux tribus, les Shoshone de l’Est et les Arapaho du Nord, qui cohabitent bon gré mal gré à la suite d’un accord « temporaire » passé avec l’armée américaine en 1878, mais qui n’a, pas plus que les autres, été respecté.

Lucky Linda et Jacqueline, alias « Jaxx », sont parties de San Diego, en Californie. Shelly Denny est arrivée de Phoenix, en Arizona, et Lorie Tsosie les a rejointes depuis le Montana. Le convoi se dirige vers Sturgis, dans le Dakota du Sud, la bourgade de 7 000 habitants envahie tous les débuts août par quelque 500 000 fous de Harley venus du monde entier. Avec leurs bandanas rouges et leurs poings levés, les natives ont entrepris de forcer la porte de cet antre de la masculinité sur deux roues. Et elles ont réussi.

Le convoi de motardes du groupe Medicine Wheel Ride en route vers Sturgis (Dakota du Sud), le 6 août 2023.

C’est la troisième équipée de ce groupe, dont le nom fait référence à la roue médicinale, un symbole du cycle de la vie. Ballottée dans l’enfance entre une mère ojibwe et un père blanc – et motard –, Shelly Denny est aujourd’hui acupunctrice à l’Indian Health Service de Phoenix. En 2019, elle a fondé l’association avec Lorna Cuny, du pays lakota, une ancienne de l’US Navy, pour lutter contre la loi du silence dans les tribus. « Les femmes avaient accepté leur sort », comme si la violence faisait partie des maux du monde indien, au même titre que « le diabète », dit-elle. « Souvent, les gens pensent que les disparus sont partis faire la fête quelque part, abonde Corinne Tuma, une employée navajo du Casino Wind River, de Riverton, motarde depuis 1996. Personne ne se joint aux familles pour faire des recherches. »

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