« L’ordre international né en 1945 est obsolète. Mais les propositions pour l’amender ou le remplacer ne se bousculent pas »

On pourrait appeler cela le théorème ou le paradoxe de Borrell. Plus le monde compte de pays puissants, catégories poids lourds et poids moyens, moins il est régi par la règle de droit, dit Josep Borrell, le maître d’œuvre de la politique étrangère de l’Union européenne (UE). Traduction en termes non diplomatiques : la loi de la jungle s’installe, pour autant qu’elle ait jamais cessé d’exister.

En marge de la réunion de l’Assemblée générale des Nations unies (ONU), fin septembre à New York, le vice-président de la Commission européenne s’adressait aux étudiants en droit de la New York University. Borrell pointait ce « paradoxe » d’un monde multipolaire mais moins « multilatéraliste ». Un monde qui compte un plus grand nombre de puissances, mais qui s’affranchit des normes existantes. Plus de fauves, moins de barreaux. C’est une bonne description de la scène internationale d’aujourd’hui – des atrocités perpétrées contre la population arménienne du Haut-Karabakh à l’agression russe contre l’Ukraine.

Le monde occidental n’est plus hégémonique. Démographie, économie, technologie, arsenal nucléaire ici et là, tous les critères sont bons pour établir une carte de la puissance de plus en plus éclatée. De la Chine au Brésil, de l’Inde au golfe Arabo-Persique, la dissémination des instruments de la puissance neutralise progressivement la prépondérance occidentale.

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L’Occident (Amérique du Nord, Europe et bastions d’Asie-Pacifique) a perdu nombre de ses monopoles. Il doit partager : richesse, pouvoir militaire, récit sur l’histoire, capacité à édicter ce qui doit être la « norme » dans les domaines les plus divers – mode de gouvernement, droit de l’homme, environnement, etc. Seules la Russie de Vladimir Poutine et la Chine de Xi Jinping appellent à en finir avec une hégémonie occidentale qui n’existe plus. Les autocrates ont toujours besoin d’un ennemi.

Pas de bipolarité

Radiographie prospective annuelle de l’état de la planète par les chercheurs de l’Institut français des relations internationales (IFRI), le Ramses (Dunod/IFRI), dans son édition 2024, parle d’une évolution caractérisée par la « déprise occidentale » sur le monde, signifiant par là l’affaiblissement de l’emprise occidentale.

Mais la multipolarité n’est pas seulement le fait de l’émergence de la Chine et de la Russie en concurrents des Etats-Unis et de l’Europe. Elle résulte de l’arrivée en force, à côté du Brésil et de l’Inde, de nombre de puissances moyennes qui s’imposent dans leur région.

L’avenir du Moyen-Orient se décide en Iran, en Turquie, en Arabie saoudite et en Israël bien plus qu’à Washington, Moscou ou Pékin. La multipolarité, c’est aussi la « relativisation » du pouvoir des grandes puissances, du fait de cette montée, en ligue régionale, de la classe mi-lourds ou poids moyens, écrit Dominique David, le rédacteur en chef du Ramses.

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